Tout mouvement social prend forme selon des normes déjà préexistantes historiquement en suivant des formes contestataires qui lui sont connues. Mais ces modes d’expression sont malléables et évoluent constamment. Il existe des « répertoires d’actions » sur lesquels se basent les militants. Ces répertoires évoluent selon les opportunités données dans un certain contexte. Ils pourront être modifiés suite à l’émergence de nouvelles opportunités ou de contraintes. Il existe donc une constante inventivité. Un exemple concret est la création de réseaux sociaux qui a été une opportunité pour que de nouvelles formes de protestations apparaissent. Celles-ci ont été rapidement et fortement intégrées par les jeunes mais pas seulement.
Depuis quelques décennies, une nouvelle forme de militance a pris place à côté des formes de militance plus traditionnelles (syndicale, ouvrière ou partisane) ; un modèle d’organisation en réseau. Les « nouveaux militants » ne sont plus autant attachés aux structures associatives au sein desquelles ils militent. Jacques Ion, sociologue et directeur de recherches CNRS, utilise la métaphore d’un post-it pour décrire la forme d’engagement du 21ème siècle : détachable et mobile[1]. Les militants rejoignent une cause ponctuellement. Ils se mettent à disposition mais l’engagement est résiliable à tout moment sans procédure d’affiliation et d’adhésion.
Le modèle militant traditionnel, toujours bien présent actuellement en Belgique, est lié au travail et à la lutte pour défendre un meilleur niveau de vie (Lardeux Laurent, 2016)[2]. Pour cette forme de militance plus ancienne, l’adhésion à la cause est proche d’une affiliation. Le militant fait partie d’un groupe dont il est important d’adopter les traditions. Cela peut être illustré par la façon dont sont accueillis les nouveaux adhérents. En effet, il est de coutume de leur présenter l’histoire du mouvement, sa logique d’ensemble et son mode d’organisation interne[3]. Ainsi les nouveaux s’approprient la culture du mouvement. Le second modèle militant serait plutôt un militantisme moral (Reynaud Emmanuelle, 1980)[4] qui rassemble les mouvements des sans-papiers, les mouvements féministes, les mouvements pour la justice fiscale ou pour une justice climatique, les projets humanitaires, etc.
La première forme de militantisme pèse dans le rapport de force grâce aux blocages, aux grèves et à la gêne qu’elle occasionne aux employeurs. De leur côté, les nouvelles formes de militantisme pèsent dans le rapport de force en rendant public le débat et en dénonçant sur la scène publique ce pour quoi les militants se battent. Ils utilisent judicieusement et efficacement les médias. Ces collectifs de militants ne sont pas fortement hiérarchisés contrairement aux structures syndicales (Lardeux Laurent, 2016). Les nouvelles générations ont l’occasion de porter leurs revendications massivement sur les réseaux sociaux. Cela rend possible l’organisation de rassemblements sans soutien d’un parti ou d’une organisation pour relayer les informations et soutenir le mouvement. Les réseaux sociaux ont une puissance de mobilisation énorme (Fley Anais, 2019)[5].
Par exemple, le sujet du féminisme rassemble des millions de personnes qui relaient leurs avis, leurs actions et leurs revendications via les réseaux sociaux. Les phénomènes #MeToo et #BalanceTonPorc en sont l’illustration parfaite. Par ailleurs, ce phénomène s’est actuellement étendu pour dénoncer des dérives dans le monde du travail, par exemple, avec le hashtag #balancetastartup.
La division entre les différentes formes de militantisme n’est évidemment pas nette et étanche. Les sciences humaines ont longtemps analysé l’évolution des modes de protestation en les opposant les uns aux autres. Mais en pratique, les formes de militance sont très variées et s’empruntent des techniques de protestation réciproquement. En effet, si l’on prend l’exemple des organisations syndicales, ce sont de vieilles structures difficiles à faire évoluer. Mais elles tendent à se renouveler et à utiliser également les nouvelles formes de militantisme selon leurs opportunités.
Les formes de mobilisation font face à de constantes réappropriations et réarrangements. Actuellement, le potentiel de communication est énorme. Les réseaux sociaux ont apporté de nouvelles opportunités pour les luttes sociales. Ils ont modifié les rapports de force en rendant certains comportements publics. Ceux-ci sont pointés du doigt et sont politisés ce qui pousse à faire changer les normes morales. Il suffit d’une photo, d’une phrase ou d’un geste capté par les réseaux sociaux pour susciter une réaction de masse. Cela permet de mettre en place une mobilisation très rapidement en réaction à un événement. Mais il est difficile de garder ce mouvement sur le long terme. Un exemple marquant de cette nouvelle forme de protestation est les différentes marches pour le climat. Ce mouvement social a débuté de plusieurs communications de Greta Thunberg sur les réseaux sociaux. Elle a engagé la première « grève de l’école » et est devenue le symbole du combat écologique. Depuis sa mobilisation, les rassemblements de protestation dénonçant la mauvaise gestion des gouvernements face à l’urgence climatique se sont multipliés. Des centaines de milliers d’étudiants à travers le monde ont participé à ce mouvement. Ils ont séché les cours et envahi les rues pour montrer leur force :
« La première fois que nous avons organisé une grève, nous étions 350. Lors de la seconde marche, il y avait 15 000 personnes, et à la troisième, 35 000 jeunes faisaient grève » a déclaré Adélaïde Charlier, coordinatrice du mouvement Youth for Climate.
L’engagement est plus pratique ; les jeunes se mobilisent car il faut faire quelque chose sur le moment. C’est devenu une affaire plus individuelle[6]. La mobilisation est motivée par l’expérience affective personnelle des militants (Martinot-Lagarde Pierre, 2008)[7]. Les marches pour le climat de 2020 font écho à cette typologie.
L’engagement des jeunes est donc moins réalisé sous la forme d’un ancrage dans un collectif ayant une organisation idéologique clairement définie. Mais plutôt sous la forme d’une participation à l’une ou l’autre revendication, l’un ou l’autre rassemblement ou l’une ou l’autre action avec lesquels le jeune partage les idées. Par ailleurs, les instances syndicales et politiques ont connu un déclin de la présence des jeunes. Mais la jeunesse n’a pas pour autant perdu sa force revendicative. Nous sommes, aujourd’hui, dans une phase de militantisme fluctuant et à la carte en fonction de la cause défendue (Lardeux Laurent, 2016). En effet, les jeunes s’organisent moins autour d’une identité partagée, d’une œuvre collective que pour une cause.
[1] ION Jacques (1997), La fin des Militants ?, Éditions de l’Atelier (programme ReLIRE), [https://doi.org/10.3917/ateli.ionja.1997.01].
[2] LARDEUX Laurent (2016), Les évolutions contemporaines de l’engagement des jeunes : fossilisation et fertilisation, in « Jeunesses sans parole, jeunesses en paroles », , Paris : L’Harmattan, 376 p. [https://www.boite-sans-projet.org/wp-content/uploads/2018/02/engagement_des_jeunes_laurent_lardeux.pdf].
[3] Conseil national de la vie associative (2003). Nouvelles formes de l’engagement. In: Agora débats/jeunesses, 31. L’engagement syndical et associatif des jeunes, [www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2003_num_31_1_2070].
[4] REYNAUD Emmanuelle (1980), « Le Militantisme moral », MENDRAS (Henri) (dir.), La sagesse et le désordre. Paris, Gallimard.
[5] FLEY Anais (2019), Nouvelles formes d’engagement, nouveaux outils militants ?, in « Cause commune », 13, [https://www.causecommune-larevue.fr/nouvelles_formes_d_engagement_nouveaux_outils_militants].
[6] Conseil national de la vie associative (2003). Nouvelles formes de l’engagement. In: Agora débats/jeunesses, 31. L’engagement syndical et associatif des jeunes, [www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2003_num_31_1_2070].
[7] Martinot-Lagarde Pierre (2008), De nouvelles formes d’engagement. Revue Projet, n ° 305(4), [https://doi.org/10.3917/pro.305.0048].