Copyright : Anne Marie Kallaraikal, Nina Leger, Atelieryoupi.
Des affiches syndicales et cartes postales historiques du mouvement ouvrier, aux autocollants et fresques murales dont les murs de nos villes sont couverts, en passant par les dessins de presse et autres caricatures, les formes d’expression graphiques ont toujours accompagné les mouvements sociaux. Il peut s’agir d’élever le niveau de conscience de la population en utilisant l’image pour éduquer, interpeller, choquer. Il peut également s’agir d’utiliser l’image comme un appel à l’action, pour mobiliser, boycotter, organiser, susciter l’envie de prendre part à un mouvement ou pour inviter à rejoindre un rassemblement de masse. Les différentes formes d’expression picturales ont toutes, au fond, le même objectif : faire réfléchir avec les yeux.
En France, la culture du graphisme militant, qui incite à la critique sociale et à la réflexion politique, a été rendue particulièrement célèbre par l’utilisation massive de la sérigraphie en mai 68. S’inscrivant dans cette tradition, le collectif « Formes des Luttes » a vu le jour lors du mouvement de grève générale contre la retraite à points d’Emmanuel Macron, à la fin de l’année 2019. Face à ce qu’ils considèrent comme une attaque sans précédent sur leur système de retraite, ces artistes ont rejoint la lutte d’une manière originale, comme l’explique le manifeste publié sur leur site internet : « Nous, graphistes, artistes, illustrateurs/trices, souvent précaires, la plupart du temps indépendants, ne sommes pas en mesure de faire grève et de bloquer l’économie. Mais nous sommes déterminés à mener la lutte avec nos moyens, ceux de l’image, en apportant notre soutien graphique aux mobilisations en cours et notamment aux secteurs en première ligne des grèves et des blocages. »
Copyright: Nina Leger, Bastien Contraire, Atelier graphique de greve,
Quelques consignes quant au format et à la résolution, la création de comptes sur les principaux réseaux sociaux, une politique commune en termes de droit d’auteurs (utilisation gratuite, pour un usage non commercial, dans le cadre des mouvements soutenus par le collectif) et le tour était joué : des dizaines d’artistes ont envoyé leurs créations au collectif. Dans ces illustrations en tout genre, souvent accompagnées de slogans percutants, le fond et la forment se lient. Une fois compilées, ces productions individuelles d’images deviennent un acte collectif.
La production graphique comme action de mobilisation avait déjà été analysée suite aux attentats de Charlie Hebdo par Francesca Cozzolino, enseignante et chercheuse à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD) de Paris. Des ateliers de production graphique avaient alors été lancés par des étudiants et des enseignants de toutes les écoles d’art de la capitale française. La chercheuse voit en ce genre « d’action graphique » une forme de mobilisation en soi. Elle met en exergue le caractère performatif de ces illustrations lorsqu’on s’intéresse, au-delà de leur fonctions descriptives et représentationnelles, à leur capacité d’agir et de faire agir[1]. Leur force performative réside dans les énoncés mais également dans leur présence dans l’espace public.
L’expression graphique atteint le paroxysme de son caractère militant lorsqu’elle trouve sa place dans l’espace public. C’est particulièrement évidement avec l’art mural ou l’affichage contestataire. C’est d’autant plus vrai en période de pandémie. Le collectif « Formes des Luttes », qui conceptualisait son action initialement en soutien aux mouvements de grèves, a pris une autre dimension avec l’apparition des mesures de confinement. Privés du droit de manifester physiquement leur opposition au système économique et politique prôné par Macron et son gouvernement, ces artistes ont proposé leur action graphique aux français-e-s comme épicentre de la résistance, chacun depuis sa fenêtre : « Cette suspension de la vie commune ne doit pas être la suspension de la démocratie. Par nos fenêtres d’appartement, de maison, d’ordinateur, nous devons clamer nos colères, nos désirs et nos revendications. Dessinons ensemble la révolution écologique et sociale qui devra être mise en œuvre pour nous permettre de reprendre le contrôle sur nos vies et sur notre avenir. Nous lançons donc un nouvel appel à créer des images pour inventer demain. Des images poétiques, drôles, combatives, revendicatrices… Des images que tou·te·s les confiné·e·s pourront imprimer et afficher sur leurs fenêtres, balcons, dans la rue, sur leur voitures, vêtements, masques, etc. qu’elles·ils pourront diffuser et partager sur les réseaux sociaux et qu’elles·ils pourront coller, distribuer, peindre quand il sera temps de sortir. »
[1] Francesca Cozzolino, « Dessiner pour agir : graphisme et politique dans l’espace public », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 6 | 2018, mis en ligne le 25 juillet 2018, consulté le 21 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/4237
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À l’instar du mouvement pro-démocrate d’Hong-Kong, qui s’est illustré la même année par son inventivité visuelle, tant dans les rues que sur la toile, le collectif « Formes des Luttes » a su exploiter le lien entre graphisme et mouvements sociaux, en réinventant la notion d’espace public. Lorsque l’art pictural devient une forme d’expression politique et sociale. Il doit trouver une scène d’exposition dans l’espace public pour être visible par le plus grand nombre. Ainsi, qu’elle se destinent aux murs des grandes villes ou aux publications sur les réseaux sociaux, la production collective d’images est plus que jamais à intégrer dans nos répertoires d’actions.
Copyright : Blériotte, Malijo, Ahou