Internet, la révolution numérique et les luttes.
La révolution numérique – l’internet, l’intelligence artificielle, la robotique – a quelque peu modifié la manière dont nous militons. Elle a fourni de nouveaux outils et un nouvel espace aux activistes.
Aujourd’hui, internet compte quatre milliards d’internautes – alors qu’en 1989, la date de la création du world wide web (WWW), il n’était que plusieurs milliers. Il est donc devenu un espace où les messages engagés peuvent atteindre une audience planétaire. Il a vu l’émergence de médias alternatifs, de blogs, de réseaux sociaux, de site web d’informations alternatives, de radios ou d’émissions vidéos en ligne. Il a permis à des nouveaux leaders d’opinions d’émerger : les instagrammeurs, les youtubeurs, les personnalités sur Twitter ou Facebook. Il est le foyer d’actions décentralisées.
Bien que le répertoire d’actions directes reste le même, certaines actions ont cependant évolué. Les manifestations peuvent être virtuelles, les bannières et les messages projetés, les pétitions signées en ligne, les meetings organisés sur les réseaux sociaux, les courriers de contestation envoyés par e-mail. Les raids non-violents deviennent du hacking, les blocus, les grèves ou les piquets des fermetures de site web et d’outils en ligne, de l’obstruction physique du flooding ou du discours contradictoires du trollage. Les actions classiques servent à imaginer les actions virtuelles et vice-versa.
Les luttes et les mouvements se servent actuellement de ces médias, de ces outils et de ces espaces pour communiquer, diffuser et influencer l’opinion, les décideurs et les autres parties prenantes. Les mouvements eux-mêmes naissent parfois du concours des différentes composantes du monde réel et du travail de terrain et du monde virtuel et du travail en ligne. Ce fut le cas des printemps arabes, du mouvement des Indignés, d’Occupy Wall Street, de Nuit Debout, des Gilets Jaunes ou encore des protestations d’Hong-Kong. L’ensemble de ces mouvements se sont servis d’internet pour se propager. Ils ont tous recourus aux réseaux sociaux, aux applications mobiles ou de messageries instantanées.
Voici quelques exemples de l’influence du numérique sur les actions directes.
Hong-Kong et les protestions contre le mandat Chinois.
Une action qui s’organise et se lance sur internet peut se traduire en actions sur le terrain, dans les rues et sur les places publiques. Pour le dire autrement, ce qui est virtuel peut produire des effets sur le réel. C’est ce qui s’est passé à Hong-Kong de mars 2019 à février 2020.
Suite à l’amendement de la loi d’extradition par le gouvernement de Hong-Kong, mi-mars 2019, qui permettait à la Chine d’intervenir dans le système juridique indépendant de Hong Kong, des manifestations ont éclaté un peu partout dans le monde où une diaspora hongkongaise était présente. La particularité originale de ces manifestations : pas d’organisateur centralisé, tout se faisait par le forum LIHKG et l’application Telegram mais aussi par twitch, Tinder, pokemon go, Signal, AirDrop d’Apple, PirateBox, Bridgefy (Bluetooth). Un ensemble d’applications et de réseaux sociaux qui ont permis aux hongkongais de s’organiser malgré la censure et la surveillance numérique du gouvernement et de la Chine.
Le mouvement a recouru à de nombreux stratagèmes virtuels et réels pour s’exprimer et exister. Les manifestantes et les manifestants ont utilisés des parapluies pour se protéger des caméras et des projectiles. La Chine est en effet connue pour son crédit social, un vaste réseau de surveillance numérique qui note les individus en fonction de leur comportement. À Hong-kong, sous l’influence chinoise, on retrouve également cette surveillance numérique généralisée. Des drones et des caméras ont été déployés à l’occasion pour identifier les agitateurs. Les manifestantes et les manifestants ont d’ailleurs utilisé des lasers pour aveugler les drones, les caméras et pointer les policiers.
Au niveau du support numérique, HKmap.live est une application qui a permis aux hongkongais de signaler la présence de la police en direct pour adapter les trajectoires des manifestants. L’application et son recours a eu un tel succès qu’Apple a dû, sous pression de la Chine, le retirer de son Apple store.
Pour outrepasser la surveillance numérique, des VPN– un VPN change votre adresse IP pour faire croire que vous êtes dans un autre pays – des PirateBox, un serveur qui permet d’échanger localement des informations et des fichiers ou encore Bridgefy qui permet de créer un réseau maillé pour envoyer des messages via Bluetooth, ont été utilisés. Les manifestantes et les manifestants allaient même jusqu’à utiliser Tinder pour s’échanger les infos.
Les protestations d’Hong-Kong pour ces raisons et d’autres tactiques tout aussi impressionnantes que nous n’avons pas décrites ici sont un exemple d’actions directes. Elles ont été tellement créatives et massives (dont une manifestation de 2 millions de personnes, la plus grande de l’histoire d’Hong-Kong) que la Cheffe du gouvernement, Carrie Lam a finalement déclaré le projet de loi mort. Les protestataires ont continué pour obtenir l’annulation de la loi et la démission de Carrie Lam.
Youth for Climate, Green Peace et les manifestations virtuelles.
En avril 2020, le Coronavirus paralyse la plupart des pays européens et mondiaux. Le confinement rend très difficile la tenue d’actions directes en public. C’est pourquoi, les Youth for Climate et Green Peace ont décidé d’organiser une manifestation virtuelle, projetée par hologrammes. Une marche d’hologrammes. Cette action s’est déroulée devant le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, puis devant celui du Parlement fédéral belge. Malgré les règles de confinement, cette action aura permis à Youth for Climate et Green Peace une certaine presse pour que les politiciens agissent pour le climat.
Youth for Climate a également organisé une manifestation en ligne via le service de téléconférence Zoom et des rencontres débats sur le web.
Le numérique peut aider à réaliser des actions, être toujours actif ou contourner des règles, des censures ou des interdictions.
La lutte contre la réforme des retraites en France.
En 2019 et 2020, une réforme des retraites annoncé par le gouvernement d’Édouard Philippe et Emmanuel Macron, provoque des grèves, des manifestations et d’autres actions incroyables (flash mob, danse en plein air devant, grève des avocats). À cette occasion, des travailleuses et des travailleurs de la tech, la CGT UGICT, le syndicat des métiers du numériques ainsi que d’autres citoyennes et citoyens ont été très créatifs.
Des sites internet ont été développé pour redorer le blason de la grève, la rendre accessible, pour diffuser du contenu, des pancartes artistiques ou humoristiques à imprimer, pour organiser des cagnottes, pour moquer Macron :
Mais aussi de la diffusion en directe, avec des débats d’intervenants appelant à soutenir la grève et des vidéos humoristiques :
- https://www.twitch.tv/recondustream
- https://www.youtube.com/watch?v=UfJiwncidIs&list=PL0H7ONNEUnnt59niYAZ07dFTi99u2L2n_
Et même des widgets (des petits outils numériques à ajouter sur les sitewebs) et un Super Macron 64 :
Bref, au niveau, les webmasters, les programmeurs, les graphistes, les youtubeurs, et bien d’autres travailleuses et travailleurs du numérique se sont donné du mal pour faire vivre et faire grève en ligne.
Trop souvent, malheureusement, la grève n’est pas présente sur internet. Les sites de la presse, les sites et les applications des services publics ou les services de certaines entreprises en ligne sont toujours disponibles. Il est donc trop facile de faire ses courses en ligne, de réaliser ses tâches administratives, de lire des articles (médiapart a d’ailleurs fermé son site pendant les grèves) ou de regarder des vidéos.
La démarche française nous enseigne qu’à l’avenir une grève, une action ne doit pas uniquement être hors ligne mais également en ligne. Elle nous enseigne aussi sur les fabuleux outils à notre disposition pour créer, bloquer ou amuser les internautes.
Le cybermilitantisme ou l’activisme numérique.
Certaines actions sont uniquement réalisables en ligne, c’est ce que l’on nomme le cyber militantisme qui regroupe lui-même plusieurs concepts : l’hacktivisme, le clictivisme ou le slacktivisme. Ces cyberactions ne différent pas vraiment de la logique des actions hors ligne. Il s’agit juste de transposer les luttes sur internet grâce à nos ordinateurs, nos smartphones ou nos tablettes.
L’hacktivisme est une des formes les plus populaires. Presque tout le monde a déjà vu un film ou entendu parlé des hackers – des pirates – ou des virus informatiques, des chevaux de Troie, des verts, des scandales de pishing. L’hacktivisme est une forme d’action directe (en ligne) non-violente. Il s’agit de piratage informatique à des fins militantes. On pourrait le comparer à une forme d’intervention physique virtuelle. Au lieu de faire un raid sur une multinationale à son siège social ou sur un lieu symbolique, on réalise ce raid en ligne sur leurs serveurs. On retrouve dans cette forme d’actions le collectif Anonymous, Wikileaks ou encore Edward Snowden.
C’est notamment grâce aux cybermilitants que des sites comme Wikileaks, watchdog.net, securedrop ou The Pirate Bay ont vu le jour pour protéger, diffuser ou partager du contenu sensible : les leaks, les informations ou des fichiers.
Le clictivisme ou le slacktivisme concernent les activités sur les réseaux sociaux, les pétitions en ligne, les blogs ou autres espaces où il est possible de faire valoir et défendre sa cause. Il est considéré comme « paresseux » parce qu’il n’y a qu’à pousser sur un bouton pour devenir militant. Cependant, comme nous l’avons déjà exposé, parfois il ne faut pas grand-chose pour passer du virtuel au réel.
Si l’activisme sur internet est parfois mal considéré. Si pour certains, il n’est qu’un outil de marketing ou qu’il n’influence en aucun cas les décisions dans la vraie vie, ces exemples montrent bien qu’il est plus que jamais nécessaire de lutter également sur ce terrain. S’engager sur tous les fronts. Tant qu’il y a du désir et de la créativité, toute action est bonne à réaliser.
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